18 février 2005

Le Snes-FSU dans l’Académie

Mobilisation du collège Blum à Villeneuve d’Ascq

Mobilisation à Villeneuve-d’Ascq pour une famille de Géorgiens menacés d’expulsion

« Nous les Yésidis, nous n’avons pas de terre »

Des professeurs du collège Léon-Blum, à Villeneuve-d’Ascq, ont formé un comité de soutien en faveur d’un élève de quatrième dont la famille, d’origine géorgienne, n’a plus le droit de rester en France. L’adolescent, depuis son arrivée à la rentrée 2002, fait preuve d’une assiduité et d’une volonté remarquables. Ses progrès, comme ceux de son frère aîné, rendent injustifiable, aux yeux des enseignants, la mesure d’extradition en cours. Le recteur d’académie et plusieurs élus ont été sollicités pour intervenir auprès du préfet, tandis qu’une pétition a déjà recueilli, dans l’établissement, près de 70 signatures. Dans le passé, deux élèves de même origine ont bénéficié du droit d’asile.

 Le chaos

C’est une chambre d’hôtel où personne n’imaginerait passer ses vacances. D’ailleurs, ce n’est pas prévu dans le cahier des charges. Ça tombe bien, la famille Tamoian n’est pas en villégiature. Elle ne s’alarme pas de devoir investir, à cinq, deux chambres minuscules. Sur le chemin de l’errance, cette étape-là n’est pas la moins confortable. Voici une quinzaine d’années, la vie était agréable pour Gregori et Zaira. Lui avait acquis une position enviée de chef cuisinier au grand hôpital de Tbilissi, tandis que son épouse élevait fièrement les trois garçons du couple, Guram (20 ans), Georgi (19 ans) et Murtasi (15 ans). Bien sûr, ils observaient les rites de leur communauté yezide, proche des Kurdes. Mais après tout, quelle importance dans un pays où se côtoient tant de nationalités, des Arméniens aux Azéris en passant par les Abkhazes, les Ossètes ou les Russes ? « Cela ne posait aucun problème à l’époque, sourit Gregori, qui parle aussi le géorgien, le russe et l’arménien. En tout cas jusqu’en 1991. » Avril 1991 : la Géorgie proclame son indépendance. Et plonge dans un chaos furieux. Les Tamoian sont en proie aux brimades des nationalistes. « À l’école, raconte Georgi, on me disait souvent : "T’es pas un Géorgien, toi, pourquoi tu viens ici ?" Quand un prof te balance ça, ça veut tout dire, non ? » Le père, lui, est contraint de quitter son poste. « Vingt-cinq ans de travail ont été rayés d’un coup. Après, je n’ai jamais pu retrouver un emploi stable, juste des petits boulots pour nourrir la famille. » Bientôt, la pression devient insupportable. Beaucoup d’Arméniens, d’Azéris et de Turcs sont déjà rentrés dans leur pays. « Mais nous, les Yezidis, nous n’avons pas de terre », glisse Gregori. Il faut partir pourtant, « car il n’y a pas d’avenir à Tbilissi, surtout pour les enfants », lâche le père, cardiaque et désabusé. En 1997, Gregori emmène les siens jusqu’en Allemagne. Quatre années durant, les Tamoian tentent de s’établir à Essen. En vain : pour les autorités allemandes comme pour l’Union européenne, la Géorgie est un pays démocratique. Le retour au bercail durera trois mois. Le temps de se frotter à une police désormais omniprésente, capable de tout pour harceler les « importuns ». « Nous n’avions plus aucune tranquillité », souffle Georgi, encore marqué par plusieurs arrestations arbitraires. Direction Moscou cette fois, pour deux semaines guère plus rassurantes. « Ils n’aiment pas beaucoup les étrangers non plus... », poursuit le jeune homme, dans un français très correct.

 Un espoir

La famille Tamoian mise alors sur la France pour trouver enfin une terre d’asile. Le 10 octobre 2001, elle atterrit à Lille. Pris en charge par le Service social d’aide aux émigrants (SSAE), le couple et ses trois enfants entament une pénible odyssée de plusieurs mois, ballottés au gré des hébergements de fortune. Finalement, en décembre 2002, ils trouvent refuge au centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), à Sailly-lez-Lannoy. À la veille de Noël, l’horizon s’éclaircit enfin. Inscrit en classe d’adaptation pour les non-francophones (CLAD) au collège Léon-Blum, Murtasi fait des prouesses. « Malgré les difficultés de déplacement et l’instabilité au quotidien de la famille, écrit l’un de ses professeurs, Murtasi n’est jamais absent. Son comportement irréprochable, allié à une immense volonté de réussir, lui a permis d’apprendre la langue française en deux ans, au point de mieux réussir ses évaluations que certains camarades francophones. »

 Couperet

Même appréciation élogieuse pour Georgi, actuellement en deuxième année de CAP menuiserie au lycée Louis-Loucheur de Roubaix. Régulièrement, les deux frères se retrouvent au club de football de l’AC Toufflers, où leur sens du collectif fait merveille, tout comme les talents de Gregori au service des Restos du coeur. Ne manque au tableau qu’une réponse favorable à la demande de droit d’asile introduite auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Hélas, le couperet tombe le 27 décembre 2004 sous la forme d’un avis négatif de la commission de recours. La famille doit quitter le CADA pour une nouvelle errance, rythmée par les appels du lundi matin au SAMU social. Chaque semaine, ou presque, les Tamoian changent de « domicile », passant du Secours populaire à l’hôpital Saint-Antoine dans une désespérante incertitude. Le 31 janvier, la préfecture leur a donné un mois pour quitter le territoire.

Laurent WATIEZ